This blog, written by Rémi Genevey and Laurence Tubiana, is part of the Wikiprogress series on Post-2015. The blog stresses the need to integrate the reduction of inequalities into the Sustainable Development Goals' agenda in post-2015, because doing so is the key to making our development trajectories more sustainable.
Dans un peu plus de
deux ans, les gouvernements de la planète devront définir des objectifs de
développement durable « orientés
vers l’action, concrets, concis et faciles à comprendre, en nombre limité,
‘aspirationnels’, d’envergure mondiale et susceptibles d’être appliqués
universellement dans tous les pays », selon l’engagement pris au
sommet de Rio en juin 2012. Le délai est extraordinairement serré au regard de
l’ampleur de la tâche et de l’acuité des enjeux. Quels objectifs de
développement durable seraient susceptibles de rallier tous les suffrages dans
un délai si court ? Un problème commun à tous les pays émerge depuis dix
ans, avec des conséquences néfastes sur la soutenabilité des modèles de
développement : le creusement des inégalités. D’une manière ou d’une
autre, le développement durable devra intégrer la réduction des inégalités dans
son agenda. Non comme une fin en soi, mais comme un moyen de rendre nos trajectoires
de développement plus durables.
Les effets du
creusement contemporain des inégalités font l’objet d’un intérêt croissant des
économistes. L’édition 2013 de Regards
sur la Terre* rassemble quelques contributions saillantes sur la question.
D’abord, l’évolution des inégalités de revenus dans le monde connaît un grand
retournement depuis un peu plus de dix ans. Pendant deux siècles, les
inégalités entre nations se sont accrues, tandis qu’elles se stabilisaient,
voire déclinaient à l’intérieur des pays. Cette histoire pluri séculaire a pris
fin au tournant du siècle : désormais, les inégalités de revenus entre
pays se résorbent et les inégalités internes s’accroissent.
Ce renversement
sans précédent a des conséquences considérables sur l’état de notre planète et
de nos sociétés. Le rattrapage économique s’accompagne d’une hausse des revenus
et des salaires moyens, ce qui considéré sans plus de détails est évidemment
une très bonne nouvelle ; mais il exerce également une pression accrue sur
nos écosystèmes. La planète a ses limites qu’ignorent encore nos instruments de
mesure tels que le PIB. À modes de consommation et de production inchangés, la
course à la croissance - peu importe ici qui la gagne - est une course à
l’épuisement.
Ce renversement modifie
également les rapports de force entre pays et les modalités des négociations
multilatérales. On ne négocie plus entre quelques puissantes nations de l’OCDE,
mais entre coalitions de pays du Nord et du Sud, de l’Est et de l’Ouest, à
revenus convergents. Maintenant que les rapports de force s’équilibrent,
négocie-t-on mieux ou moins bien l’infléchissement de nos trajectoires de
développement ? Voici l’une des questions ouvertes par ce « grand
retournement », qui reste sans réponse claire pour l’instant. Une chose
est certaine, ce rééquilibrage favorise
des modes de coordination faibles, où l’autonomie des choix nationaux l’emporte
sur la recherche de normes globales.
Les conséquences des inégalités internes sont
d’un autre ordre. Les modèles de croissance très inégalitaires semblent bel et
bien les moins résilients, dans la mesure où ils affaiblissent le consensus des
citoyens autour des biens communs au profit de l’appropriation privée. A
l’opposé, les modes de consommation des
derniers déciles de revenus ont un effet d’entraînement mimétique sur les
classes moyennes, la plupart du temps défavorable à l’environnement. La
consommation accrue d’eau, d’énergie, d’aliments ou de biens matériels, quel
qu’en soit le bénéfice réel, est perçue comme positive, tandis que la recherche
d’efficacité, de découplage entre la croissance économique et la consommation
de ressources, apparaît comme potentiellement régressive. Enfin, les inégalités
et le sentiment d’injustice freinent ou rendent illégitimes les politiques
environnementales, perçues comme un fardeau supplémentaire par les oubliés de
la croissance.
La question des
inégalités occupe aujourd’hui une place centrale dans les débats sur le
développement durable et ce que l’on nomme l’agenda de développement « post-2015 ».
L’ignorer au nom du réalisme (réduire les inégalités est complexe…) serait se
priver d’une de ses vertus essentielles : elle offre une clé au
développement durable. Car elle n’est pas qu’une question sociale, elle a des
conséquences sur la résilience de nos
modèles de croissance, sur notre capacité à protéger la biodiversité ou à
mettre en place une transition énergétique et écologique. En bref, sur notre
capacité à tenir nos engagements.
Rémi Genevey, directeur de la stratégie
à l’Agence française de développement (AFD)
Laurence Tubiana, professeur à Sciences Po Paris , directrice de
l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri)
This blog first appeared in Slate.fr Tribune on 18 July, 2013.
* Regards sur la Terre 2013, de Rémi
Genevey, Rajendra Kumar Pachauri et Laurence Tubiana, éditions Armand Colin,
paru le 10 avril 2013, 384 pages.
Stunning...!!
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